URBANISME, SIMPLIFICATION DES PROCEDURES, INVESTISSEMENT… LE BILAN AVEC NOUZHA BOUCHAREB
Nouzha Bouchareb.
Ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville
La vision urbanistique nationale prône le renouveau dans la politique de l’aménagement du territoire. Pour y parvenir, plusieurs chantiers on vu le jour, notamment la généralisation des documents d’urbanisme de nouvelle génération, la dématérialisation des e-services, l’amélioration du taux de couverture en documents d’urbanisme… La ministre de tutelle explique cette vision et détaille la teneur ainsi que l’importance des grands chantiers lancés dans le secteur urbanistique.
La généralisation des documents d’urbanisme semble avoir atteint les résultats escomptés par le gouvernement. Quel bilan peut-on dresser de l’impact de la couverture territoriale des schémas directeurs ?
Vu l’importance et le rôle des documents d’urbanisme dans la mise en place d’une offre territoriale d’investissement organisée et encadrée, le ministère multiplie aujourd’hui ses efforts en vue de la généralisation de la couverture du territoire national en documents d’urbanisme. Il s’est engagé, à ce titre, dans le cadre de son programme gouvernemental, à homologuer 600 documents d’urbanisme à l’horizon 2021. Cet engagement a été dépassé avec 636 documents d’urbanisme homologués à fin avril 2021. À noter que 112 documents d’urbanisme homologués en 2020 malgré les conditions sanitaires. Comme vous le savez, les schémas directeurs d’aménagement urbain (SDAU) sont des outils de planification stratégique permettant de mettre en œuvre une politique d’aménagement et de développement, facteur essentiel pour consolider l’attractivité d’un territoire. Ces documents de référence pour les plans d’aménagement permettent l’ouverture à l’urbanisation selon un phasage prédéfini de manière à orienter les départements ministériels et les collectivités territoriales sur les zones à engager à court, moyen et long termes. Dans le cadre des efforts menés, le département en charge de l’Urbanisme s’est engagé dans une politique de couverture de la totalité du territoire national en schémas directeurs. Aujourd’hui, on dispose de 45 SDAU homologués répartis sur l’ensemble du royaume. Une nouvelle génération de SDAU a été lancée, couvrant des aires métropolitaines, les grandes villes, les territoires sous pression démographique ou connaissant une dynamique urbaine importante. Ces documents de mise en cohérence des politiques sectorielles et de l’action publique permettent le renforcement du lien de complémentarité urbain-rural et l’inter-territorialité et prônent le développement équilibré, inclusif et durable des territoires. Cette nouvelle génération de documents d’urbanisme stratégiques fait l’objet de concertations dynamiques et orientées en prônant une démarche participative ainsi que l’organisation d’ateliers thématiques (urbanisation et environnement, emploi et économie, mobilité et infrastructures et modèle d’aménagement).
Justement, où en est la mise en place de cette nouvelle génération de documents d’urbanisme ?
Près de 30 SDAU de nouvelle génération sont en cours dont 3 ont été homologués entre 2019 et 2021 (le Grand Nador, le Grand Béni Mellal et le Grand Meknès), 7 sont en phase de visa (la Plaine de Kert, le Grand Kénitra, le Grand Agadir, le Grand Safi, Khémisset-Tiflet-Sidi Allal Al Bahraoui, Ifrane-Azrou et le Littoral de Larache), 8 sont soumis aux concertations réglementaires (le Grand Fès, le Grand Berkane, le littoral de Driouch, Sidi Slimane-Sidi Kacem, le Grand Marrakech, Berrechid-Benslimane, le Grand Khénifra et le Grand Khouribga) et 11 sont en phase d’étude (le Grand Tanger, le Grand Tétouan, le Grand Laâyoune, le littoral de Guelmim-Sidi Ifni-Tan Tan, le Grand Ouarzazate, le Bassin de Massa, Taroudant, le Grand Essaouira, la Conurbation Rabat-Salé-Témara, la Vallée de Ghriss et le Grand Youssoufia). Aussi, et afin d’accélérer et d’améliorer le processus d’élaboration et de couverture des territoires en documents d’urbanisme, un guide a été mis en place, composé de 50 étapes à suivre permettant d’arrêter les mesures nécessaires pour toutes les phases de l’étude allant de la phase de programmation, de préparation des études préliminaires, des documents cartographiques indispensables jusqu’à la phase de l’homologation et de l’approbation de ces documents. De même, et en vue de mieux adapter les plans d’aménagement à la dynamique urbaine et aux attentes post-crise sanitaire, des règlements d’aménagement 2.0 sont en cours de finalisation afin de permettre d’intégrer des règles d’aménagement différencié : règles fixes et règles incitatives, mixité fonctionnelle et principes de modification, règles de participation et de majoration de COS, principe de densité. Par ailleurs, une refonte du référentiel juridique de la planification urbaine est en cours en vue d’adapter les documents d’urbanisme aux réalités de développement économique et social et de les inscrire dans une vision de développement durable et de résilience. Ce projet de loi a pour objectif de maîtriser et réduire les délais d’élaboration et d’approbation des documents d’urbanisme, d’améliorer le contenu et d’inscrire ces outils dans une logique de développement durable.
Un plan d’action pour renforcer la veille territoriale et la simplification des procédures a été élaboré pour faire face à l’impact de la Covid-19. Quels en sont les premiers résultats ?
Dans le cadre de la poursuite des efforts menés par le ministère de l’Aménagement du territoire national, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville en vue de la simplification des procédures et l’encouragement de l’investissement, plusieurs actions ont été menées, notamment la publication du décret n°2.18.577 approuvant le règlement général de construction, de l’arrêté conjoint 337.20 fixant les pièces constitutives des dossiers exigibles aux demandes d’autorisation et de l’arrêté conjoint 338.20 déterminant les modalités de mise en œuvre des procédures de la dématérialisation concernant le dépôt et l’étude des demandes d’autorisation. Ces réformes ont contribué à une professionnalisation du secteur, à une réduction des membres permanents au niveau des commissions d’instruction, à l’introduction de nouveaux permis, à la maîtrise des délais impartis pour chaque phase et à la dématérialisation des différentes procédures d’octroi des autorisations en matière d’urbanisme.
Justement, comment avez-vous géré la crise sanitaire?
En cette conjoncture particulière, le département de l’Urbanisme a veillé à renforcer le climat de confiance et le positionnement des agences urbaines en tant qu’acteurs facilitateurs à l’écoute des territoires et des citoyens, à poursuivre les efforts menés en matière de simplification des procédures et d’amélioration de l’environnement de l’investissement, à asseoir un climat des affaires stable et attractif, favorable au redémarrage de l’investissement, à accompagner les opérateurs économiques et les professionnels , à leur offrir une plateforme d’orientation et d’accompagnement technique, à généraliser les services en ligne et à s’inscrire dans la dématérialisation des procédures. En matière de veille territoriale, l’analyse des différents indicateurs liés à la planification et à la gestion urbaines a permis l’amélioration et la valorisation des connaissances sur les problématiques et phénomènes urbains, la capitalisation des données territoriales et urbanistiques recueillies, la centralisation de la gestion, le traitement de l’information collectée au travers d’indicateurs d’analyse et de synthèse et la mise en place d’une stratégie d’observation entre les différents acteurs, producteurs et utilisateurs de la donnée.
Comment la digitalisation a-t-elle contribué à la gestion de cette crise ?
Il est à noter que la dématérialisation des e-services et leur généralisation ont pleinement contribué à un maintien partiel puis à une reprise de l’activité des agences urbaines depuis juin 2020, grâce à un mode de gouvernance assurant la continuité du service public et à une simplification et dématérialisation des procédures par le biais de circulaires ministérielles et conjointes traduites en 19 mesures. Ces dernières ont permis de mettre en œuvre des actions préventives pour parer la propagation du coronavirus, d’anticiper les effets directs et indirects de la crise sanitaire, de maintenir un service public de qualité permettant aux citoyens et aux opérateurs économiques un accès à l’information et aux services administratifs et de généraliser l’assistance à distance, les services en ligne et la dématérialisation des procédures. En effet, entre mars et juin 2020, il y a eu une généralisation des e-services, notamment les géoportails e-NRU, e-requête, e-instruction, e-pré instruction, e-résultats, e-paiement, des QR codes avec des pratiques innovantes (bureau d’ordre virtuel, visio-commissions d’instruction, visio-CTL, etc.) passant ainsi de 55% en mars 2020 à 97% aujourd’hui.
Aussi, la mise en place d’une plateforme de veille via un système d’échange entre la Direction de l’urbanisme et les agences urbaines visant à opérer une remontée des indicateurs journaliers, hebdomadaires et mensuels ainsi que des indicateurs de performance, a permis de suivre l’activité de ces dernières. Ainsi, le bilan de cette remontée a été marqué par une baisse pour la première période de confinement, puis par une stabilisation en milieu de période et par une reprise de l’activité dès début juin, soit un maintien de 33% de la gestion urbaine à partir du 23 mars 2020 pour atteindre un taux de 56% au mois de juin 2020, puis de 97% aujourd’hui.
Le gouvernement devra mettre en place une base de données géographiques nationale des documents d’urbanisme, ainsi qu’une classification détaillée et unifiée des règlements d’aménagement. Quels sont les principaux services qui seront assurés après la mise en place du nouveau cadre de publication?
Dans le cadre des actions menées en matière de transformation numérique des territoires, notre département poursuit ses efforts en matière de numérisation des documents d’urbanisme homologués par la publication en ligne de plus de 900 documents sur le géoportail national des documents d’urbanisme www.taamir.gov.ma, permettant d’appuyer les efforts menés en matière d’homologation des documents d’urbanisme, d’offrir une information urbanistique géo-référencée nécessaire à l’investissement et au développement territorial et de constituer une base de données géographique nationale des documents d’urbanisme nécessaire à la mise en place de plusieurs services dématérialisés.
Ce projet constitue une plateforme numérique homogène, interactive et cartographique permettant à l’ensemble des agences urbaines de publier en ligne leurs documents d’urbanisme homologués avec une nomenclature unifiée, accessible aux citoyens et professionnels et offrant gratuitement des notes de renseignements urbanistiques indicatives, démocratisant ainsi l’accès à l’information sur les droits à construire ainsi que le zonage du terrain concerné et l’ensemble de l’information urbanistique nécessaire à l’investissement, et ce, en application de la loi 31.13 qui instaure le droit d’accès à l’information publique par les citoyens et de la loi 55-19 qui instaure de nouvelles mesures pour faciliter la relation entre l’administration et les usagers à travers la simplification des procédures administratives. Ce géoportail sera continuellement enrichi de nouvelles fonctionnalités telles que l’intégration de documents d’urbanisme homologués numériquement et la dématérialisation des services rendus par les agences urbaines, notamment la gestion en ligne du registre de l’enquête publique, la dématérialisation de la note de renseignements urbanistiques, la gestion et le suivi spatial des opérations de lotissements et de groupes d’habitations, etc.
Quelles sont les mesures envisagées en vue d’améliorer le taux de couverture en documents d’urbanisme dans le milieu rural?
Vous n’êtes pas sans savoir que le profil de l’occupation du sol du territoire marocain se caractérise par une prédominance du monde rural qui s’étend sur 90% de la superficie du royaume et regroupe 85% des communes. Il maintient ainsi son importance démographique, sociale et économique avec 43% des actifs. Par ailleurs, 1.282 communes sont à caractère rural sur un total de 1.503, malgré un taux d’urbanisation qui a doublé ces cinquante dernières années, passant de 29,20% en 1960 à 60,30% en 2014. Depuis les années 70, il a été constaté une baisse notable du rythme global de la croissance de la population rurale qui a enregistré un réel fléchissement, puisqu’elle est passée de 65% en 1971 à 57,37% en 1982, à 48,60% en 1994 et à 45% en 2004. En 2014, elle ne représentait plus que 39,70% de la population totale. Et selon les prévisions, de 13,41 millions de personnes en 2014, elle passerait à 11,5 millions vers 2050. Pour accompagner le développement du milieu rural, un système de planification a été mis en place à travers des documents d’urbanisme réglementaires spécifiques, à savoir les Plans de développement des agglomérations rurales (PDAR) qui déterminent le droit d’utilisation des sols, dans l’objectif de créer et d’organiser des noyaux ruraux attractifs, et d’accompagner l’urbanisation des agglomérations rurales. Les PDAR contribuent à orienter le développement de l’agglomération rurale tout en organisant l’extension et en structurant les noyaux d’habitat existants. Aujourd’hui, le monde rural, de par son attractivité, fait l’objet d’une couverture par la planification stratégique à travers les schémas directeurs et également par des plans d’aménagement. Les efforts menés ont permis d’augmenter le rythme de couverture du milieu rural par les documents d’urbanisme qui atteint un taux de 85%. Ces documents d’urbanisme couvrant le milieu rural ont permis de donner un nouveau souffle aux agglomérations rurales, qui accueillent un grand nombre de projets structurants à portées nationale et régionale.
Comment analysez-vous le phénomène de l’urbanisation du monde rural?
Actuellement, le monde rural exerce une réelle attractivité entraînant la diversification de son peuplement et la réurbanisation de son mode de vie, puisqu’on constate de nouveaux phénomènes, notamment un mouvement de migration inverse à partir de la ville, l’installation de zones logistiques, de plateformes agro-industrielles, etc. Les dynamiques en cours placent le phénomène de l’urbanisation du monde rural dans des logiques de relation villes/campagnes, favorisant ainsi l’émergence de polarités intermédiaires -ou zones tampons- entre le rural et l’urbain dits centres ruraux émergents, dépassant les ruptures pour créer de véritables rapports de continuité, de solidarité et de complémentarité.
Un débat national sera organisé pour élaborer une vision qui s’étale sur les 30 prochaines années. Peut-on avoir une idée sur ses principales thématiques?
Dans la perspective d’assurer le succès des réformes institutionnelles adoptées par notre pays et de contribuer à la mise en œuvre du chantier de la régionalisation avancée, le ministère de l’Aménagement du territoire national, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville a engagé en 2019, en se basant sur une démarche de co-construction et de concertation, l’élaboration de l’étude sur les Orientations de la politique publique de l’aménagement du territoire (OPPAT), conformément au programme gouvernemental 2017-2021 qui prône le renouveau dans la politique de l’aménagement du territoire. Ces orientations constituent un référentiel d’orientation prospectif qui détermine les priorités et les options de l’État en matière d’aménagement du territoire à différentes échelles territoriales, tenant compte des vocations et spécificités des territoires dans une vision prospective partagée par l’ensemble des acteurs. Elles poursuivent des objectifs majeurs, visant à préciser les orientations fondamentales de l’État en matière d’aménagement et de développement territorial aux niveaux national, interrégional et régional, à favoriser la cohérence territoriale des interventions publiques sur le territoire national et à assurer l’articulation des choix d’aménagement et l’encadrement des documents territoriaux de planification stratégique, notamment les SRAT. La conduite des OPPAT est basée sur une démarche de co-construction et de concertation avec l’ensemble des partenaires concernés. À cet égard, la conduite de ce chantier sera accompagnée par le lancement d’un débat national sous forme d’un cycle de conférences, nationales et territoriales, tout au long du processus d’élaboration des OPPAT pour co-construire les orientations et débattre des enjeux et des perspectives de développement des territoires. En fait, ces conférences permettront de construire une vision prospective du développement du territoire national qui garantisse les grands équilibres spatiaux. Pour ce faire, chaque rencontre sera centrée sur un champ d’intervention public, avec son système d’acteurs et ses politiques dédiées, mais surtout ce qu’il produit concrètement dans le territoire, à l’image de «la métropole et l’urbanisation distribuée», «les centres ruraux émergents pour les relations urbain/rural», «les villes intermédiaires et les bassins de vie», «les écosystèmes industriels», «les ensembles agro-écologiques», «la grande hydraulique», «les stations touristiques», etc.
SDAU, quésaco ?
Les schémas directeurs d’aménagement urbain (SDAU) arrêtent des orientations et des plans d’actions sectoriels pour un horizon de 25 ans, notamment en termes de développement économique et social, de sauvegarde du patrimoine agricole et forestier, de préservation de l’environnement et des paysages, de transport, de déplacement et de mobilité urbaine. Les SDAU permettent de définir les lignes directrices d’un véritable projet d’agglomération avec une vision partagée, pour conduire ensemble une politique intercommunale d’aménagement du territoire. À l’issue d’une démarche réglementaire ayant mobilisé l’ensemble des acteurs, et après finalisation de la phase d’études, les schémas directeurs font l’objet de trois étapes majeures de concertation (centrale, locale et à l’échelle des collectivités territoriales) avant leur homologation, en vue d’arrêter une vision consensuelle et cohérente des stratégies aussi bien ministérielle que provinciale et communale.
Chantier post-Covid : relance de l’investissement
Dans le cadre de la dématérialisation des e-services, le ministère de l’Aménagement du territoire national, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville a instauré plusieurs comités de réflexion post-Covid entre le niveau central et les agences urbaines. Ces comités ont permis de traiter plusieurs thématiques relatives à la relance économique. Ainsi, la tutelle a adressé plusieurs lettres circulaires aux agences urbaines en vue de promouvoir et d’assurer une relance de l’investissement. Les résultats obtenus sont encourageants. En effet, le réexamen de 4.841 des grands projets en souffrance en application de la circulaire n°209 du 12 mai 2020 a pu générer plus de 12 MMDH d’investissement et près de 50.000 emplois directs et 70.000 emplois indirects. S’y ajoute le recensement de 2.635 lotissements comprenant 179.742 lots en application des directives de la circulaire n°1205/2760 du 18 juin 2020 relative aux travaux d’équipement des lotissements et groupes d’habitation, ce qui a drainé un potentiel d’investissement de plus de 31 MMDH.
Sanae Raqui / Les Inspirations Éco